La cryogénie au service de l’informatique quantique

Google contrôlera les qubits de son ordinateur quantique grâce à un contrôleur cryogénique.


Informatique traditionnelle et informatique quantique

 

En informatique traditionnelle, l’information circule dans des transistors reliés les uns aux autres au sein d’un microprocesseur. Cette information se mesure en « bits » (pour « binary digit »). Ces derniers effectuent des calculs grâce à des portes logiques. Ces dernières sont matérialisées par les transistors du microprocesseur. Les deux valeurs possibles d’un bit sont 0 ou 1, ce qui se traduit, de manière basique, par l’absence ou la présence de courant électrique. Les calculs traditionnels (addition, soustraction, multiplication), sont réalisables à partir d’un assemblage de portes logiques.

Par exemple, la porte logique « not » inverse la valeur d’un bit. Lors d’un calcul, si la valeur du bit est de 1 à l’entrée dans le transistor, elle sera de 0 à la sortie, ou inversement. En informatique traditionnelle, si l’on souhaite effectuer ce calcul avec comme portes d’entrée successives 0, puis 1, le calcul devra être réalisé deux fois.

L’informatique quantique permet d’effectuer ces deux calculs en même temps.

En effet, en informatique quantique, l’unité de mesure de l’information est le « bit quantique ». Il se caractérise par sa capacité à avoir simultanément une valeur de 0 et de 1. Il s’agit du principe de superposition quantique.

En informatique, les registres sont des espaces permettant de stocker des informations. En informatique traditionnelle, un registre de 4 bits peut générer 16 états : 0000, 0001, 0010, 0100… En informatique quantique, un registre de 4 qubits peut superposer ces 16 états. Un registre de 8 qubits permettrait de superposer 256 états, et donc d’aller 256 fois plus vite qu’un ordinateur traditionnel. Tous les problèmes sur lesquels travaillent les ordinateurs classiques ne sont néanmoins pas susceptibles d’être « accélérés » par un ordinateur quantique. Mais certains calculs sont hors de portée des ordinateurs classiques. En informatique quantique, les portes quantiques rendent ces calculs possibles, et permettent de les effectuer rapidement.

Un exemple d’application de l’informatique quantique est la factorisation des grands nombres entiers en nombres premiers.

 

Fonctionnement simplifié d’un qubit

 

Dans un processeur quantique, il est nécessaire d’avoir un système qui puisse superposer deux états à la fois, et qui soit suffisamment petit pour obéir aux lois de la mécanique quantique. Divers systèmes sont ainsi envisageables pour créer des qubits :

  • le spin d’un électron ou d’un noyau atomique. Schématiquement, le spin incite les électrons à se comporter comme de petits aimants. Dans un champ magnétique, ils s’orientent ainsi dans un sens ou dans l’autre. Ils peuvent ainsi être dans chacun des deux états, ou dans une superposition des deux,
  • la polarisation d’un photon, qui permet elle aussi la superposition de deux états (+1 ou -1),
  • certains circuits supraconducteurs, qui ont l’avantage de mieux protéger les états quantiques contre le phénomène indésirable de la décohérence2.

Depuis le début des années 2000, de grands groupes comme IBM, Intel ou Google développent des ordinateurs quantiques, mais leurs capacités demeurent limitées. Le premier calcul réalisé par un ordinateur quantique a été réalisé par IBM en 2002. Il s’agissait de la factorisation du nombre 15 (3x5). Cet ordinateur contenait 7 qubits.

 

La suprématie quantique

 

L’objectif ultime des grandes firmes high-tech est d’atteindre la « suprématie quantique ». Il s’agit du moment où la puissance de calcul de l’ordinateur quantique dépasse celle des superordinateurs classiques. On considère que cette suprématie pourrait être atteinte au seuil de 50 qubits.

En mars 2018, Google a présenté Bristlecone, un processeur de 72 qubits, dépassant donc ce seuil théorique. Ce système expérimental devrait permettre de faire avancer la recherche sur les taux d’erreurs dans ce type de systèmes, ainsi que celle sur les qubits.

Google n’a pas encore publié de résultats concernant les essais réalisés avec Bristlecone, mais la firme poursuit néanmoins l’amélioration de son processeur. La firme développe par exemple à l’heure actuelle des technologies permettant d’améliorer le contrôle de la circulation des qubits.

 

Bristlecone et son contrôleur cryogénique

 

Bristlecone fonctionne actuellement avec 72 qubits logiques. Pour ce faire, il utilise plusieurs centaines de milliers de qubits physiques, grâce à un système supraconducteur. Ils sont stockés dans un cryostat refroidi à une température de 10 mK (-273,14 °C). Les très basses températures permettent en effet d’améliorer le fonctionnement des qubits et limitent les risques de décohérence quantique2.

Un des principaux objectifs des équipes de Google est de réduire les taux d’erreurs dans les calculs. Il est donc nécessaire d’effectuer des contrôles sur les qubits.

Actuellement, le contrôle s’effectue à l’aide de câbles coaxiaux individuels qui transmettent des signaux à chaque qubit physique. Le nombre de câbles est donc extrêmement important. Ils relient le cryostat à des racks de serveurs à température ambiante. Ces câbles génèrent 1 watt de puissance perdue par qubit.

Le nombre de câbles pourrait être réduit en les intégrant directement au cryostat, mais la chaleur générée serait trop importante pour ce dernier.

C’est afin de résoudre ce problème que Google a présenté son contrôleur cryogénique à bit unique CMOS (« Complementary Metal Oxide Semiconductor »), à la fin du mois de février 2019. Ce circuit intégré mesure 1 mm sur 1,6 mm et il consomme moins de 2 milliwatts de puissance, selon le communiqué de la firme4. Comme son nom l’indique, il ne peut fonctionner qu’avec un seul bit, ce qui limite pour le moment ses usages.

Le contrôleur cryogénique a d’abord été testé à température ambiante, puis il a été placé dans une partie du cryostat refroidie à 3 K (-270,15 °C). Il a été connecté à un qubit se trouvant dans la partie du cryostat refroidie à 10 mK. Une série d’expériences a ensuite établi que le contrôleur fonctionnait comme prévu et ne provoquait pas de surchauffe dans le cryostat.

D’après Google, les performances du processeur sont similaires à celles d’un système utilisant des câbles coaxiaux.

La réduction d’énergie consommée imputable à ce nouveau contrôleur est prometteuse, selon la firme.

 

1 https://www.lemagit.fr/definition/Qubit

2 La décohérence quantique représente le problème de la disparition des états quantiques superposés au niveau macroscopique https://www.sciencesetavenir.fr/fondamental/la-decoherence-prise-sur-le-vif_22114

3 https://ai.googleblog.com/2018/03/a-preview-of-bristlecone-googles-new.html

4 https://ai.googleblog.com/2019/02/on-path-to-cryogenic-control-of-quantum.html